Franz Schubert (1797-1828)

vers Schubert
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Quintette pour 2 violoncelles, D 956

musique de chambre

La vie d’un Quintette / un Quatuor pour la vie

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Le quintette pour 2 violoncelles en ut majeur, D 956, ne représente pas seulement le fleuron de la musique de chambre composée par Franz Schubert, il est surtout considéré par beaucoup comme le chef-d’œuvre absolu de toute la musique de chambre.
En outre, les circonstances de sa composition — 2 mois avant la mort du compositeur — donne au tragique de cette œuvre une vérité plus crue. Exécuté la première fois en 1850 au Musikverein de Vienne, il ne sera publié qu’en 1853. Actuellement, il est célébré par une discographie richement récompensée par les revues spécialisées.
L’un de ses « interprètes » les plus inspirés est sans doute représenté par le Quatuor Amadeus, composé de Norbert Brainin (1er violon et figure de proue), Siegmund Nissel (second violon), Peter Schidlof (alto, dont la disparition le 15 août 1987 mit fin à la formation), et Martin Lovett (violoncelliste). Avec la complicité de William Pleeth (2 fois), puis celle de Robert Cohen, ils en créeront 3 inoubliables enregistrements, datant respectivement de 1952, 1965 et 1986, (c’est-à-dire échelonnés sur une période qui dépasse de 3 ans la vie entière de Schubert !).
 

Date d’interprétation

05/1952

05/1965

03/1986

Durée
(par mouvement)

15’00

13’46

09’52

10’01

14’55

15’38

11’09

10’00

20’32

15’05

10’29

09’16

Technique d’enregistrement

ADD mono

ADD stéréo

DDD stéréo

 

Ce quintette, tant du point de vue de sa tonalité que de son choix instrumental*, ne se réfère à aucun autre compositeur que Schubert lui-même. Dès leur premier enregistrement, les Amadeus ont nettement tranché entre la sensiblerie et la sensibilité. Point de pathos suppliant dans leurs interprétations, mais une réelle énergie motivée par l’expression d’une profonde douleur, et une subtile poésie exhalée par la tragédie. Grâce à eux la beauté triomphe, même dans sa fatalité. Nous aborderons les deux versions extrêmes du point de vue chronologique, celles de 1952 et de 1986.

* Le style de Boccherini inventeur » du Quintette pour 2 Violoncelles) est totalement différent de celui de Schubert, admirateur de Mozart dont les Quintettes furent composés pour 2 Altos.

La qualité technique de ces enregistrements n’est bien sûr pas sans influence sur les détails ressentis par l’auditeur :
 - un souffle présent (version 1952) et une plus faible dynamique réduisent le timbre des violoncelles, dont le jeu s’alourdit quelque peu. Un enregistrement mieux défini permettrait de découvrir certaines finesses d’archet tandis que le numérique (version 1986) permet de les savourer toutes. De plus, une meilleure perception spatiale des instruments distingue mieux chaque voix et accroît la lisibilité des intentions de chaque partenaire ;
 - la compression real audio (ici en mono) réduit ces écarts, en tirant malheureusement la qualité vers le bas. Ainsi, sur la version 1986, les forte du violon sont hélas traduits de façon parfois un peu criarde.

De les premières notes (tiens, on est en ut majeur ?) jusqu’à l’accord final, tout est surprenant dans ce Quintette à Cordes. Du coup, la première écoute est assez déroutante, surtout si on avait comme repère préalable le Quintette avec Piano « La Truite ». Les trois premiers mouvements sont tellement différents, tant dans les sentiments qu’ils éveillent que dans la rythmique très présente de leur motif principal. Cette rythmique contribue d’ailleurs à donner une ambiance pesante, voire angoissante (j’y vois presque comme une réminiscence rythmique des accords de Piano dans certains de ses Lieder).

 

1er mouvement Allegro ma non troppo, en ut majeur

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Malgré le manque d’expérience de ces jeunes interprètes, la vision d’ensemble surprend par sa grande expressivité ; même s’il manque encore quelques intentions, le souffle qui anime les protagonistes donne à ce mouvement une lecture pleine de vie.
 
Les thèmes se détachent dans deux intentions plus accentuées : la force d’une colère en alternance avec la mélancolie d’une déchirante complainte. La lecture, extrêmement fouillée et animée par d’incessants élans et retenues, se veut résolument plus agressive. À noter : le respect de la reprise (5 min 24) qui explique la différence de durée d’enregistrement. Par ce choix, l’équilibre de l’œuvre en est modifié avec un mouvement initial qui redevient primordial.

puce

 

2e mouvement Adagio, en mi majeur

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Cette page, éblouissante de beauté et de simplicité apparente, donne plus de place encore à l’interprétation. Dès son premier enregistrement, le Quatuor Amadeus fait preuve d’une sincère sensibilité, même si les pizzicati sont un peu trop sages, manquant de contraste par rapport aux notes tenues. C’est dans l’envolée de l’intermède central que la formation exprime son immense ferveur . Pourtant, les quatre mesures qui la suivent semblent moins inspirées (comme des silences trop inexpressifs…), et le retour au thème initial repose sur un tempo trop rapide : alors que cette transition mérite la langueur dont se nourrit tout le mouvement, on ressent une certaine impatience de la part des musiciens.
 
Leur passion s’est développée avec l’expérience. Jusque dans l’expression d’un murmure au souffle évanescent, qui parle droit au cœur.
Les pizzicati résonnent comme les battements d’un cœur déchiré ; puis l’envolée jaillit avec un surcroît de tension, de tourmente, pour s’achever par la douce respiration d’un court sommeil, suivi d’un éveil aussi délicat que savoureux.

pucepuce

 

3e mouvement Scherzo : Presto, ut majeur
                        Trio : Andante sostenuto, en bémol majeur

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Les cinq partenaires entament avec maîtrise et détermination le troisième mouvement, en violente rupture avec le précédent ; jusqu’à donner à la gracile gaieté de son thème lyrique la nervosité inquiétante qui le sublime : les tourbillons ont des accents de tempête, et les archets se font tranchants. L’arrivée de l’andante sostenuto nous plonge dans une torpeur qui fige la vie… La couleur sombre est merveilleusement retranscrite ; le retour au thème initial est ressenti tel un soubresaut vital, comme pour chasser les sombres nuages. Mais qui peut lutter contre un vent inexorablement mauvais ? semblent nous exprimer ces jeunes et talentueux musiciens.
 
La vigueur effrénée est poussée à son extrême, et les attaques acerbes du premier violon, véritable écorché vif, sont l’expression d’un engagement sans limite, qui fait miraculeusement ressortir le cri douloureux de cette œuvre. Le tranchant est plus affûté que jamais, d’un héroïsme désespéré. Quelle rupture avec les lamentations poétiques de l’andante qui nous replonge dans un univers aux lugubres ténèbres (fin de l’intermède du merveilleux deuxième mouvement), avant de nous relancer dans le premier thème…
Déjà très aboutie trente trois ans plus tôt, l’interprétation de 1986 est tendue jusqu’à la déchirure.

pucepucepuce

 

4e mouvement Allegretto, en ut majeur

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C’est pourtant cette lutte que conduit le dernier mouvement dans une danse qui, loin de se vouloir réjouissante, rappelle par ses doux frémissements les inquiétudes annoncées dès le mouvement initial.
La boucle semble se refermer. La joie fugace ravive la sensation de la peine inexorablement retrouvée. Une ultime course, dernier espoir interrompu par cet accord final, définitif et poignant, qui s’évanouit ici trop vite…
 
Comme mus par l’énergie du désespoir dont cette œuvre de Schubert est le fruit, Norbert Brainin, Siegmund Nissel, Peter Schidlof, Martin Lovett et Robert Cohen ont poussé jusqu’aux derniers retranchements les élans du cœur et les retenues dues à ses souffrances. Ils signent avec ce fulgurant finale une interprétation miraculeusement exacerbée, nous ballottant depuis le premier mouvement entre la force d’une avancée héroïque et la complainte poétique d’une âme en peine. Les Florestan et Eusébius de Schumann avant la lettre ? L’appoggiature sur le dernier accord résonne comme une somptueuse virgule, sublime retour nostalgique vers le début de l’œuvre…

pucepucepucepuce

 

Dès son premier enregistrement en 1952, ce quintette de musiciens chante d’une seule voix, avec la force d’un orchestre symphonique et la souplesse d’un soliste. Certes, on comprend aisément que les progrès techniques puissent motiver de nouveaux enregistrements ; mais avec leur ultime version de 1986, le quatuor Amadeus nous entraîne dans le superlatif. La lecture, fouillée à l’extrême par 5 orfèvres, reflète chaque éclat du diamant. Tout y est signifiant et volontairement signifié.

L’année suivante, Peter Schidlof décédait, entraînant la fin du Quatuor Amadeus.

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© Pierre Cadillon / http://opus100.free.fr/

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